La vie à l’envers

« Dans ma vie prochaine, je veux vivre ma vie à reculons... » Cette citation attribuée à Woody Allen ou à Georges Carlin m’a amené à penser la vie à l’envers. Et en faisant cela, à essayer de comprendre ce qui est important et ce qui ne l’est pas.

Tu commences mort. Un corps inanimé, rongé par la terre. Un corps solitaire qui se dégrade et disparait avec le temps, ne laissant qu’une trace, qu’un souvenir d’une action, d’un savoir à transmettre ou partager, ou d’une émotion, un instant de bonheur. Puis ton corps, au lieu de se décomposer, se recompose et la vie devient chair. Tu es cloué dans un lit, abandonné dans un endroit que tu connais ou que tu ignores, qu’importe. Ta conscience revient. Tu n’as pas la force physique de réaliser tes fantasmes. On te rend visite de temps en temps. Tu leur souris. Au fond tu t’en fous. Eux aussi d’ailleurs. Tu n’as rien à laisser, ils n’ont rien à attendre, rien à se partager, rien à se disputer pour. Ce que tu as restera pour toi. Avec le temps, tes forces reviennent et tu arrives à maitriser ton corps. Tu commences à marcher, à pisser seul, puis à devenir autonome. Tu n’as pas de soucis d’argent, on te remet ta retraite et tu vas jouir de la vie, tranquillement, seul ou en couple. Tu fais des voyages, tu joues aux cartes, tu fais des rencontres, tu réalises tes passions. Le temps s’écoule. Tu vas travailler. Tu commences par le haut puis tu descends les échelons. À mesure que tu descends, tu deviens plus utile et plus libre. Tu deviens vrai. En fait, à mesure que tu descends, tu passes du virtuel au réel, tu n’oublies pas d’où tu viens. Tu t’éloignes du monde des réseaux pour t’avancer dans celui des relations humaines. Dans un monde dominé par les robots, trouver du travail c’est trouver des idées. Travailler c’est faire un travail d’artiste, peindre, écrire, dessiner, s’épanouir en tant qu’humain et laisser quelque chose de beau à la postérité. C’est travailler pour les autres, pour l’humanité. Après des dizaines d’années de travail, tu quittes ton boulot et tu vas jouir de la vie. Tu quittes aussi ta femme pour savourer la vie et chacun de vous sa liberté. Vous organisez une cérémonie de divorce et vous vous jurez infidélité. Tu fais la fête. Tu assoupis tes désirs. Tu cherches l’empathie, l’affection plus que le sexe. Puis tu rentres à l’université. Tu vas étudier ce que tu aimes, tu veux élargir tes horizons, non pas les limiter à une profession. Tu apprendras à interagir avec les autres, à échanger des idées, à essayer de changer le monde. Puis tu rentres à l’école. Tu redeviens un enfant. Tu joues. Tu découvres. Ton seul souci c’est le bonheur. Le but de ta vie c’est d’être heureux. Tu te fais des amis, des vrais, qui resteront des amis d’enfance, tous pareils, sans arrière-pensées, sans ego à montrer, ou une vie manquée à rattraper ; une amitié qui ne sera pas faussée par le temps qui recule. Puis tes forces diminuent, tu n’arrives plus à marcher, tu fais pipi dans tes couches, tout le monde t’entoure, tu souris, en fait tu t’en fous, ils t’adorent. Comme tu es mignon, malgré tes cris, tu deviens un condensé de bonheur. Et tu rentres dans un endroit de rêve ou tu flottes pendant neuf mois, servi à longueur de journée comme un dieu. Puis ton corps commence à disparaitre derrière l’écran d’une machine à plusieurs dimensions de façon propre, nette sans dégradation et les battements de ton cœur s’éteignent dans un néant. Tu deviens alors une rencontre entre un sperme et un ovule. Une belle histoire d’amour. Comme quoi, l’amour est la base de tout. L’amour c’est le fondement de l’existence. Et la vie continue.